Réflexions sur les voeux de nouvelle année
Prenez garde aux vœux !
OBSEQUES vendredi. Fleurs et champagne : on enterre 1948. Bonjour 1949... Beaucoup sont inquiets de savoir ce que vous nous réservez. Les uns interrogent les astres, les autres le marc de café...
D'une façon générale, on ne peut pas dire que vous inspiriez confiance.
On se répète, avec cette remarquable persévérance pourtant si diversement récompensée: « Je vous souhaite une bonne année... Bonne année... Bonne année... »
Qu'est-ce- que c'est au juste, une bonne année ?
Prenez quelques inondations, deux héritages fabuleux, vingt-quatre crimes, cinquantedeux discours, un bon poids de Miss. Mélangez avec quelques catastrophes aériennes, quatre gouvernements, trois belles histoires d'amour. Ajoutez quelques quarts provisionnels, un tour de France, trois déraillements. Remuez bien. Assaisonnez d'une pointe de guerre froide, saupoudrez le tout de grèves, laissez mijoter 365 jours et servez chaud...
Que nous ayons ou non de l'appétit, il faudra l'avaler. Et il est interdit d'en laisser dans son assiette.
Il arrive, bien sûr, que làhaut le cuisinier varie les proportions. Alors on espère qu'il fera mieux la prochaine fois, on le supplie. C'est ce qu'on appelle « former des vœux ».
Formons ! Qu'est-ce qu'on risque ? Nous savons bien, depuis le temps, que ces vœuxlà n'engagent à rien.
Puisque la coutume exige, cependant, que non contents de les faire, on se les présente, je vous signale qu'il y a, cette année, un certain nombre de gaffes à éviter, et de cadeaux à ne pas donner.
Par exemple, si vous adressez vos vœux à Marcel Pagnol, ne lui écrivez pas sur une carte postale en couleurs...
Vous saisissez ce que je veux dire?
Pour M. Vincent Auriol je ne vois rien de particulier... Mais pas de Général !...
Ne vous adressez pas à Miss France en disant : « Vous en êtes une autre... » et à M. Jules Moch en signant : « Je suis mineur... » même si vous avez moins de vingt et un ans.
Au président de l'O.N.U n'offrez pas un jeu d'échecs. Vous pouvez par contre adresser sans crainte vos voeux à Garry Davis, Hôtel des Etats-Unis,(il y habite vraiment !) et un chèque à votre percepteur. Il y compte fermement.
N'offrez pas une traction avant à M. Boucheron et ne commencez pas une lettre à Martine Carol par : « J'ose à peine vous écrire, mais tant pis je me jette à l'eau... »
N'envoyez pas un quatre- quarts à la maman des quadru plés.
Ne signez pas : « Un compatriote », la carte que vous adresserez à Charles Boyer.
Ne demandez pas à Rita Hayworth si elle a envie d'un lit de Khan et ne terminez pas une lettre à Mme Kosenkina en lui affirmant : « Et, l'année prochaine, il faudra que, ça saute... »
Ne proposez pas à M. Joliot Curie d'aller faire la bombe et n'invitez pas Michel de Roumanie à une partie de Pauker.
Si vous envoyez, un livre au professeur Piccard, ne choisissez pas « Les Bas Fonds ».
N'offrez pas une montre à Jean-Louis Barrault sous prétexte qu'il cherche midi à quatorze heures, et ne demandez pas à Georges Bidault si un portefeuille lui ferait plaisir.
N'écrivez pas à M. Gallup : « Vous pouvez compter sur moi... »
Cette énumération de gaffes et de cadeaux à ne pas faire est naturellement très incomplète.
Dans l'incertitude, je ne saurais trop vous conseiller d'envoyer simplement « tous vos vœux » sans préciser lesquels, et une boîte de marrons gla... Ah ! non, j'oubliais... Surtout, pas de marrons à Marcel Cerdan !...
Il me reste à vous souhaiter à mon tour une bonne année, c'està-dire douze mois où vous supporterez la grippe, l'augmentation de votre loyer, la grève du métro et les grosses chaleurs au mois d'août avec le sourire de ceux qui savent qu'il ne s'agit, après tout, que d'un moment à passer.
Françoise GIROUX.