Le vol de billets dans le coffre du commissaire Benhamou amène FG a évoqué la figure de l'indic, et son propre passage durant la guerre, rue de Saussaie, où elle avait été dénoncée. Article sérieux.
LA RUE SANS JOIE
par Françoise GIROUD
Il avait un coffre en bois ,
Et pour que ça ne se voit pas
Il avait mis pardessus
Des rondelles en peau de zébu...
Eh oui ! Pardessus le coffre-fort en bois du commissaire Benhamou, il y avait une « mince couche de métal ». Mais, pardedans, il y avait une épaisse couche de billets de banque.
Percer l'une pour saisir l'autre, était une idée qui devait fatalement venir à l'esprit de l'un de ces gentils garçons qu'on nomme pudiquement des indicateurs, et qui sont tout simplement ces dénonciateurs sur lesquels sont basées toutes tes polices du monde, qu'elles s'appellent Sûreté nationale, Scotland Yard, Gestapo, Guépéou ou F.B.I.
On en voyait beaucoup au bureau 543 de la rue des Saussaies, où l'on s'occupe plus particulièrement de trafic de devises.
Probablement parce qu'il y a beaucoup à dénoncer en ce
moment.
Mais on en voyait encore davantage il y a quelques années, quand le bureau 543 de la rue des Saussaies était bourgeoisement occupé par un fonctionnaire allemand dont j'ai oublié le nom mais pas le visage, et par un fonctionnaire français qui l'est peutêtre encore.
Ceux que l'on y dénonçait alors se sont appelés successivement des traîtres, des terroristes, des patriotes, des résistants et des cassepieds, comme dirait NoëlNoël. Question de millésime.
Mais ceux qui dénonçaient se sont toujours appelés des dénonciateurs.
Et si je ne partage pas, pour une fois, l'intense gaieté qui s'empare des Français quand ils voient Guignol taper sur le gendarme et le commissaire dévalisé dans son propre fief, c'est parce que le bureau 543 m'a laissé un mauvais souvenir.
J'y suis passée, comme tant d'autres, un jour de 1944.
Le fonctionnaire allemand qui l'occupait se balançait derrière sa table, le regard vague. Il tenait un papier à la main. J'ai su après que ce papier lui annonçait la mort de son fils tué sur le front russe.
Ce n'est pas lui qui m'a interrogée. C'est le Français. Il m'a dit :
— Vous n'avez pas honte de ce que vous faites ?
Oui, il a dit ça, le Français. Et l'Allemand l'a regardé. Et si le mépris avait tué, l'autre serait mort. Mais il a ajouté ;
— Ce n'est pas la peine de mentir. Vous avez été dénoncée...
Et l'Allemand a détourné le regard, et il est allé tambouriner la vitre de la fenêtre.
Dehors, il faisait beau. Et le soleil brillait comme il brille seulement lorsqu'on le voit d'une prison.
Un avion a ronronné dans le ciel.
Alors, sans réfléchir, je me suis approchée de la fenêtre.
— Défendu, a dit l'Allemand en me repoussant.
Mais pas assez vite pour que je ne visse le corps mou et noir d'un jeune homme, qui venait de se jeter par une autre fenêtre s'écraser dans la cour de la rue des Saussaies.
Son sang a jailli, éclaboussant les dalles de la cour.
Le Français a dit :
— L'imbécile...
Plus tard, beaucoup plus tard, j'ai traversé cette cour, libre cette fois. Mais le sang avait disparu sous la boue. La boue finit toujours par effacer le sang.
Voilà pourquoi je n'aime pas la rue des Saussaies. Voilà pourquoi je ne peux pas rire en pensant à la bonne farce qu'on a jouée aU commissaire Benhamou en volant dans son coffre en bois cinq millions prêtés par le ministère des Finances, millions destinés à appâter et à arrêter des trafiquants de devises. Que l'on a dénoncés. Encore. Tou- \ jours dénoncer...
Je m'étais promis d'écrire quelques bonnes plaisanteries sur cette réjouissante aventure. Mais la mémoire vous joue parfois de ces tours...
- Je signale tout de même au commissaire Benhamou qu'il y a, dans des établissements connus sous le nom de « banques»
de petites boîtes en métal connues sous le nom de « coffres- forts », où ses fonds auraient été... je ne trouve pas le mot, aidez-moi, voulez-vous ?.. Où ses fonds auraient été.. Vous ne voyez pas ce que je veux dire - La mémoire vous joue de ces tours... Où ses fonds auraient été... Ah ! voyons... En Sûreté.