Rapport imaginaire d'un haut fonctionnaire de l'ONU sur les moeurs françaises et ses incohérences
L'Onusie vous parle (2)
Par Françoise GIROUD
M. Tchik vous prie de l'appeler d'urgence.
J'ai trouvé cette note en rentrant, sur mon bureau. M. Tchik est ce citoyen onusien qui me fait l'amitiés de me communiquer chaque semaine le rapport secret et confidentiel qu'il envoie dans son pays, l'Onusie (capitale : Onu ; sous-préfecture : Unesco ; gouverneur : On ; costume national : Nu).
M. Tchik désirait vivement présenter ses civilités onusiennes à M. Queuille.
- M. Queuille cueille, lui dis-je. On ne peut pas le déranger.
- Ah bon ! me répondit-il ; mais que cueillet-il ?
- Des poires.
- Dans son jardin ?
- Dans tout le pays.
- La récolte est tellement bonne ?
- Elle est inépuisable.
J'avais malheureusement omis de lui traduire ces paroles en argot onusien. De sorte que le rapport hebdomadaire que M. Tchik confia à la valise diplomatique commençait ainsi :
De la distribution des biens.
Tout individu qui gagne plus de 500.000 francs par an est considéré comme coupable. La punition consiste à lui reprendre ce qu'il a gagné poru le distribuer à la communauté sous forme de fonctionnaires.
Grâce à ce système ingénieux, chaque citoyen aura bientôt son fonctionnaire. D'uen enquête personnelle, il apparaît que, à prix égal, le citoyen aurait préféré une maison de campagne, mais il semble qu'il n'ait pas été consulté sur ce point.
Des traditions.
Un Planfinancier n'est pas, comme pourraient le croire des Onusiens mal initiés aux subtilités du français, une série de prévisions et de mesures relatives à l'équilibre des finances.
C'est plutôt une sorte de fête religieuse dont la date est variable mais au cours de laquelle on mène invariablement une grosse partie de la population au sacrifice. L'argent coule... et la colère des dieux s'apaise pour un temps, croit-on ici, en même temps que le cours du dollar.
Si le Grand Prêtre, qui porte aussi le titre de ministre des Finances, change souvent, le rituel ne change pas. Il se chante à 350 voix environ dans un temple à colonnes sis en face de la Madeleine.
Le Planfinancier coïncide généralement avec un Plandelaviande, autre cérémonie religieuse au cours de laquelle on sacrifie du bétail en grand nombre au bénéfice d'une dizaine d'intouchables (traduction approximative du vocable français : Trafiquant).
Certains esprits avancés font campagne pour que l'on renonce à cette tradition périmée responsable, disent-ils, de la pénurie de viande, mais elle semble fortement ancrée dans les moeurs.
Si les noms des intouchables étaient un jour connus du public, on pourrait néanmoins craindre que la colère populaire les abatte. C'est pourquoi ils sont tenus soigneusement secrets.
Des honneurs.
Lorsqu'un haut personnage désire prouver son amitié ou sa faveur à un citoyen qui s'en est montré digne, il a le choix entre deux possibilités. Il peut lui remettre :
a) La Légion d'honneur ;
b) Un bon d'achat pour une voiture neuve.
L'un et l'autre sont également appréciés, bien que d'un usage différent et confèrent en quelque sorte un titre de noblesse.
Quand on peut dire d'un homme : ''Il a acheté sa voiture avec un bon'', cela signifie : ''Il a de puissantes relations.''
Sans bon, on reste autorisé à admirer les créations françaises dans un musée : le Salon. On peut ensuite en rêver gratuitement.
En ma qualité d'étranger, je suis libre d'acheter immédiatement à condition de payer en dollars onusiens. Je compte donc en emporter une (modèle pliant) dans ma Cadillac pour amuser mes petits-neveux.
De l'amour.
Selon les instructions reçues, je me suis plié à la coutume locale. Suivant l'exemple de tous les étrangers de marque (Orson Welles, George Raft, M. Barnum, etc., la place me manque pour une énumération complète), je me suis fiancé avec Martine Carole.
(A suivre)
