Messieurs les agents, tirez les premiers !

Rebondit sur un fait divers fusillade entre policiers et truands
Messieurs les agents, tirez les premiers!

par Françoise GIROUD

DIX-SEPT ans, pour une jeune fille, c'est peu. Pour une cartouche, c'est trop !
Or, de l'aveu même d'un inspecteur de la P.J. à un reporter curieux, les policiers se servent encore, à l'occasion, de cartouches vieilles de dix-sept ans.
Ce qui explique en partie pourquoi, depuis quelques temps, lorsque les agents tirent... les gangsters se tirent. Cependant il serait injuste de dire qu'ils s'en tirent. Enfin..., pas tous !... Neuf sur dix seulement.
C'est même parce que Georges Riffard a été arrêté que quatre gardiens d'une paix qui fut quatre cent cinquantetrois fois troublée par des meurtres ou des agressions à main armée entre le 1er janvier et le 30 juin 1948 ont eu l'occasion de venir s'expliquer à la barre des témoins sur leur façon de garder.
Georges Riffard est cet impétueux jeune homme qui entra, le soir de Noël, dans une pâtisserie pour voler deux gâteaux.
Après les gâteaux il vola la pâtissière.
Le jeune homme fuyait, la pâtissière hurlant alerta quatre agents.
Georges brandit son revolver et arracha l'annulaire de l'un de ses poursuivants.
Le premier agent tira. Et son revolver s'enraya.
Le deuxième tira. Bis.
Le troisième tira. Dito.
Le quatrième tira. Idem.
Comme ils étaient quatre qui voulaient se battre et que Georges Riffard n'avait pas la moindre petite traction avant, ils le rattrapèrent tout de même.
Il faut vous dire que, entre temps, son arme à lui s'était également enrayée.
A croire qu'il l'avait empruntée à un gardien de la paix...
Les jurés de la Seine, animés d'une légitime curiosité, manifestèrent l'envie de connaître... le maniement des armes avant de condamner Georges Riffard à dix ans de travaux forcés.
Le premier agent, Andrieu, confessa donc que lui-même et ses collègues sont astreints à des exercices de tir réguliers.
Réguliers, mais rares.
Pour tout dire, ils s'exercent une fois par an.
Il déclara également que ces armes si promptes à s'enrayer n'étaient pas, comme on aurait pu le croire, de vieux clous rouillés, mais, au contraire, des 7,65, nouveau modèle perfectionné à 8000 francs l'un qui remplacent petit à petit, entre les mains des policiers, l'ancien revolver à barillet.
Il a ajouté que personnellement il était ''contre''. Malheureusement, jusqu'à ce jour, on ne lui avait pas demandé son avis.
Ce qui est un peu rassurant, c'est que ce revolver de fabrication française n'est pas encore manufacturé en assez grande quantité pour que les 18.500 agents de la Préfecture en soient déjà tous équipés.
Mais on y arrive tout doucement... Et c'est avec des armes du même type que deux autres agents, Giraudot et Chaumondon, tirèrent en vain, il y a quelques jours, sur les deux agresseurs de Rivier, le bijoutier de la rue Notre-DamedeLorette.
La police ne prétend pas à jouer un rôle sympathique. Il serait tout de même fâcheux qu'elle tînt les emplois de comique.
Il suffit déjà qu'elle soit distraite et que, sous le porche voisin du commissariat de l'avenue Brochant, un encaisseur de la Sécurité sociale se soit fait dévaliser la semaine dernière au nez, à la barbe et à la mitraillette des défenseurs de la sécurité publique.
Il suffit déjà qu'elle soit impuissante à retrouver les millions d'Orly, ceux du Crédit lyonnais, du Comptoir d'escompte, du Métro (185 au total), à retrouver l'assassin de Rita Kwas, celui de Mme Furimond, à éclaircir le mystère de la malle sanglante.
Que l'on dresse un procès-verbal à un pékinois, parce qu'il n'est pas en laisse, ou à une Simca, parce qu'elle n'est pas éclairée, c'est la règle ; mais il faudrait ne pas rater les assassins non plus.
Alors, de grâce, messieurs les agents, tirez les premiers...

Mardi, octobre 29, 2013
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