Scrongneugneu et rond-de-cuir

Sur les militaires mal payés et la Sécurité sociale, « devenue le théâtre d'une lutte sournoise entre resqullieurs »
SGRONGNEUGNEU ET RONDDECUIR

par Françoise GIROUD

UN, deux, trois, quatre, cinq... un jeune homme. Un, deux, trois, quatre, cinq : militaire... blond... Un, deux, trois, quatre, cinq... à la nuit... un, deux, trois, quatre, cinq... attrape un bon rhume. Qu'est-ce qu'il fait? Pour le moment, il se contente d'éternuer et de se bourrer de cachets... Le Service de santé, sans argent, sans locaux, sans personnel, n'a que faire de militaires bronchiteux.
Mais nous allons changer tout ça, scrongneugneu !
Les militaires ont demandé, par la voix de leur ministre, à profiter, si l'on peut dire, du régime de Sécurité sociale. Le principe en a été adopté. Son application en est à l'étude.
Franchement, ce n'est que justice ! Si on n'offrait pas la sécurité sociale aux guerriers, à qui la donnerait-on ?
D'ailleurs, vous avez bien lu : ce sont eux qui l'ont demandée.
Car si les généraux meurent dans leur lit, ils sont tout de même dans de mauvais draps.
Et les souslieutenants donc ! Un jeune officier célibataire qui sort de Saint-Cyr gagne aujourd'hui 14.535 fr. par mois. Autant dire qu'il n'a pas de quoi faire souvent le jeune homme. Un général, père de quatre enfants, gagne 75.000 fr. C'est mieux. Au fait, avec une femme et quatre enfants, même mal nourris, on se demande si c'est vraiment beaucoup mieux.
Pourtant, les militaires ont, chez nous, mauvaise réputation. On leur reproche volontiers d'avoir plus d'essence dans leur voiture et de galons sur leurs manches que de cervelle sous leur képi.
La Sécuritié sociale n'a pas bonne réputation non plus. On lui reproche volontiers de mettre plus de célérité à encaisser les cotisations qu'à payer les indemnités.
En d'autres termes, dire des militaires qu'ils ne sont pas très intelligents et de la Sécurité sociale que c'est une escroquerie est presque un lieu commun, et il est affreusement tentant d'écrire une fable à ce double sujet. Par exemple :
Il était une fois un général
Qui avait très mal à la tête.
Il écrivit à la Sécurité sociale
Qui répondit : « Ne faites pasla bête
Coupez-la et n'en parlons plus
Personne ne s'en apercevra
Nous non plus. »

Mais au risque de passer pour une originale, je voudrais tenter de combattre cette mauvaise opinion que l'on a souvent des uns et de l'autre.
D'abord parce que les militaires se recrutent en somme parmi les civils qui sont par conséquent mal venus de s'en plaindre.
Ensuite, parce que la Sécurité sociale pourrait être une excellente invention si l'on savait s'en servir. Seulement voilà : au lieu d'être une admirable entreprise de solidarité, elle est devenue le théâtre d'une lutte sournoise entre resquilleurs.
Les statistiques accusent une moyenne de treize jours par an et par assuré d'arrêt de travail. Ce qui n'est tout de même pas très sérieux de la part des travailleurs et encore moins de la part de leurs médecins complaisants.
La Sécurité sociale, elle, a à sa disposition un certain nombre de moyens pour ne pas payer les frais entraînés par les maladies graves et chères. L'enquête par exemple. L'enquête que l'on ouvre... et que l'on ne ferme jamais. Mais le plus sûr consiste à perdre le dossier de l'assuré.
Dans ce cas, il suffit souvent que ledit assuré se fâche tout rouge pour que le dossier se retrouve comme par enchantement.
Mais comme il a attendu entre quatre et six heures avant d'atteindre enfin quelqu'un à qui il peut, exprimer sa mauvaise humeur, comme il vient par définition d'être malade, il arrive généralement qu'il se résigne à reconstituer un deuxième dossier. Alors, là, ils sont perdus tous les deux, lui et le deuxième dossier, que cette fois on égare. Après l'avoir égaré on le cherche — longuement — si longuement qu'on finit par ne plus y penser.
C'est un peu décourageant, bien sûr.
On ne sait pas encore comment la Sécurité sociale se comportera en face des militaires et les militaires en face de la Sécurité sociale.
Mais ce qu'on sait, dès maintenant, c'est que Courteline nous manquera.

Mardi, octobre 29, 2013
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