Une paire de ''miss''

Sur l'élection de miss Paris
La conversation est, cette semaine, pleine de pièges.
Ainsi, si l'on dit : '' Les élections ont été bonnes... '' S'agit-il de l'Algérie ? Ou de l'Italie ?
Si l'on s'écrie : '' C'est un scandale... '' S'agit-il du lait ? Ou du poisson ?
Si l'on soupire : ''Il a fait encore un discours... '' Est-il question du général de Gaulle ? Ou de Maurice Thorez?
Les miss elles- mêmes se présentent par paires. Jusqu'à présent, outre la mistoufle, nous avions notre miss hebdomadaire.
Cette semaine, il y en a deux, deux qui se prétendent également Miss Paris.
En vérité, elles ne prétendent à rien, les pauvres créatures, sinon à montrer, sans que l'on insiste trop, ce qu'elles ont de mieux. Mais deux comités, dirigés l'un par un M. Guy Duval, l'autre par un M. Guy Rinaldo - les Guy aussi vont par paire — revendiquent chacun le droit et le devoir d'élire sa Miss Paris.
Le premier Guy a attaqué le second en justice. Le second a fait appel, et chacun d'eux viendra, preuves et miss en mains, demander au président Rousselet de déclarer laquelle, de Mlle Paris ou de Miss Paris, sera chargée de '' soutenir le prestige de la France ''.

Vous le placiez ailleurs ? Moi aussi. Eux pas. C'est même le seul point sur lequel ils sont d'accord. Chaque Guy se soutient le soutien de ces soutiens.
Mlle Paris a 22 ans. Elle est existentialiste, premier prix de violon du Conservatoire, et se nomme Mercedes Desbos.
Miss Paris a 18 ans. Elle est danseuse, se nomme Juliette Figuèras, n'est pas plus vilaine qu'une autre, et serait même bien jolie si elle ne portait déjà, sur son jeune visage brun et lisse, les stigmates qu'imprime le rêve qui les conduit, si nombreuses, à ces étranges compétitions: épouser l'Aga Khan et le tromper avec Jean Marais.
Remarquez que c'est bien la faute de l'Aga Khan ! Depuis qu'en 1943 il s'avisa de choisir pour troisième épouse européenne Yvette Labrousse — Miss France 1929 — ce prince des Mille et Une Nuits est devenu une sorte de symbole, celui de la réussite suprême dans l'art de placer avec intérêts un capital beauté.
Mais le prince étant inséparable des mille et une nuits, c'est là que Jean Marais intervient dans les songes de ces nouvelles chercheuses d'or.
Il leur est toutefois recommandé de ne pas le crier sur les toits et M. Rinaldo fait fort grief à Yvonne Viseux — Miss Froncé démissionnaire — d'avoir avoué publiquement qu'elle serait « prête à épouser même l'Aga Khan, puisqu'il a de l'argent ».
Et pan pour l'Aga Khan !
Et pan pour le « prestige de la France » !
Les autres, les trente-neuf miss sélectionnées qui disputèrent avec elle, en décembre, le titre de Miss France, avaient, plus prudentes ou moins ambitieuses, déclaré en baissant les yeux :
— Je voudrais me marier et avoir des enfants...
C'était beaucoup plus gentil comme ça, et la plupart étaient certainement sincères. Si les maris se trouvent plus facilement après qu'un jury a sanctionné la perfection d'une anatomie sans voile, à qui la faute, sinon aux maris ?

Il y avait parmi elles cinq étudiantes, une monitrice de culture physique, une championne de tennis auxquelles rien ne permet de faire l'injure de croire qu'elles sont prêtes à « épouser même l'Aga Khan ». La perspective de gagner 40.000 francs par mois, quelques robes, et de faire le tour du monde, justifiait leur candidature.
Seulement, il y avait aussi l'aimable pensionnaire d'une maison discrète et clandestine du XVIIème arrondissement.
Si cette miss là avait décroché le titre tant désiré, c'est donc elle qui aurait « soutenu à l'étranger le prestige de la France ».

Évidemment, il n'y aurait pas eu de quoi en faire un drame. Tout au plus une pièce de Jean de Létraz.
Mais enfin, sans exiger de ces roses qu'elles soient des rosières, et de ces prix de beauté qu'ils soient des prix de vertu, on pourrait peut-être suggérer à ceux qui prennent si sérieusement leur rôle de « chef de publicité de la firme France » d'enquêter discrètement sur l'origine des produits qu'ils exportent, avant de s'en faire les champions.
Les Etats-Unis offrent à leur Miss Amérique une bourse universitaire de 5.000 dollars. Gageons que, si l'on proposait à Miss France cinq années d'études en Sorbonne, celles qui veulent... enfin, qui veulent épouser l'Aga Khan, chercheraient un moyen plus rapide de parvenir à des fins... qui leur donnera des moyens.

Mardi, octobre 29, 2013
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