Marthe Richard accusée de trafic d'influence, autres histoires de pot de vin, nouveau spectacle de Sacha Guitry
Dessins de Maurice Henry
Ce qui est agréable, avec M. René Mayer, c'est qu'il ne nous cache rien. Il est franc comme l'or.
Quoi. Qu'est-ce que j'ai dit ? Franc comme... Evidemment, c'est une gaffe. Parce qu'en fait d'or, notre franc n'en contient plus lourd : 328 mmg. 58 de 1802 à 1914, 58 mmg. en 23, 7 mmg. 47 en 1945, et maintenant... même pas de quoi faire une alliance. C'est du moins ce qu'en pensent les Anglais, qui ne nous l'ont pas envoyé dire. Ils n'en veulent pas de notre petit franc.
D'ailleurs c'est un phénomène curieux : personne n'en veut... et tout le monde en réclame.
C'est exactement ce qui est arrivé à cette pauvre Mme Crompton, née Bettenfeld, espionne et conseillère municipale, plus connue sous le nom de Marthe Richard.
Une certaine Mme Jouvey lui a proposé cent mille francs pour faire sortir de la prison de Fresnes l'Allemand Erwin Press, objet de son amour. Marthe Richard n'en voulait pas de ces cent mille francs ! Mais elle les a tout de même réclamés, affirme la plaignante.
Ce qui l'a menée cette semaine sur les bancs de la dix-septième chambre correctionnelle, pour trafic d'influence. Pourtant elle n'a fait qu'obéir à ce bon penchant de sa nature qui la pousse à ouvrir les portes des maisons closes, prisons ou pas, pour en libérer les pensionnaires.
Après avoir entendu les arguments de l'attaque et de la défense, le président du tribunal a eu un sourire énigmatique pour déclarer : jugement à quinzaine. Le sourire du Sphinx en quelque sorte. Quoi ? Oui,'' du Sph... Ah ! c'est juste, encore une gaffe. Enchaînons.
C'est qu'il a un travail fou cette semaine, le président de la dix- septième chambre, avec ces histoires de potsdevin.
En vérité, ce ne sont pas tellement les pots qui le tracassent. Ce serait plutôt le vin. Des litres de vin. Des tonneaux de vin. Des tonnes de vin qui sont tirées et qu'il faudra bien boire à la santé de M. Farge ou à celle de M. Gouin.
C'est ce qu'on appelle un « vin d'honneur ».
Dégoûté ''du vin, le président va se mettre à l'eau de Vichy- Vichy ? Vichy ? Ça pourrait être une gaffe. Disons plutôt : à l'eau de Vittel.
Et il envie son collègue de la douzième chambre, qui a eu le plaisir de donner la réplique à la jolie Mme veuve Lautner, alias Renée Saint-Cyr, dans un sketch inédit.
Encore une qui n'a pas eu de chance. Un ami lui dit un jour: '' Ma chère, vous devriez, dans votre situation, avoir une devise. ''
Elle prend ce singulier pour un pluriel. Et hop ! la voilà sur le banc d'infamie pour trafic de devises, précisément.
Il est vrai que cette semaine, elle est en bonne compagnie : Marthe Richard, Yves Farge, Félix Gouin, Renée Saint-Cyr ou Gala au Palais, avec la présence assurée de M. Joseph, M. Joseph en chair et en os dans son refrain à succès : « Ni vu ni connu, je t'embrouille. »
Devant une telle compétition de vedettes du Palais de Justice, on comprend que M. Sacha Guitry ait préféré le cadre du théâtre EdouardVII pour prononcer sa plaidoirie.
On pense que le verdict sera favorable et que l'accusé bénéficiera de circonstances atténuantes. D'abord, Talleyrand avait vraiment beaucoup d'esprit.
Ensuite, les critiques ont été dûment rappelés à la charité chrétienne par M. François Mauriac, qui en connaît un bout.
Et puis, le vent est à l'indulgence.
Par exemple, lorsque les ministres sont sortis à minuit et ont réintégré le domicile conjugal à cinq heures du matin, vendredi, en disant à leur épouse : « Je sors du conseil des ministres. » Eh bien ! elles ont fait semblant de les croire. Indulgence. En vérité, ils étaient... Non, cette fois, pas de gaffe.
Lorsque M. Pierre Hervé, de L'Humanité », et Jean - Bernard Derosne, de « L'Epoque », nous ont annoncé qu'ils allaient se battre en duel — ce sont les quatrièmes qui nous font le coup du duel cette année — on a tout de même fait semblant de les croire. Indulgence.
Lorsqu'on nous a expliqué qu'il fallait se réinscrire chez son boucher pour avoir de la viande, on a fait semblant d'y croire. Indulgence...
Lorsque M. Bevin, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, a déclaré aux Communes, parlant à la Russie : « Ne jouez pas avec le feu ! » Tout le monde a fait semblant de croire que ça l'avait impressionnée, cette grande marchande d'allumettes.
Ind... Mais à ce point là, est-ce que ça s'appelle encore de l'indulgence ?