Le séducteur

Portrait de Mitterrand, le séducteur de femmes mais aussi d'hommes.
François Mitterrand a beaucoup aimé les femmes, ce n'est un secret pour personne. Pour un mois, pour un an, on ne saurait dire combien furent celles qui tombèrent sous son charme et en restèrent parfois meurtries, bien que, disent-elles, il rompît toujours avec délicatesse. Mais il rompait pour passer à une autre. Il lui fallait le nombre comme pour écarter on ne sait quelle angoisse, il lui fallait se rassurer sur sa capacité d'être aimé. Peut-être parce qu'il a entamé sa vie amoureuse par un échec : Catherine Langeais, qui l'a repoussé.
Jeune, il était beau, ardent, timide sous l'audace, et curieusement moins séduisant qu'il ne le devint plus tard. Il faisait peur. Trop de hâte, trop d'emportement.
Il se mit à devenir irrésistible quand il fut dénoué. Alors, son talent de séducteur commença à se déployer tous azimuts, sur les femmes, mais aussi sur les hommes.
Il avait, comme Casanova, la langue d'or, ce don de plaire par la parole, d'envoûter par le discours, d'éblouir par le verbe.
Parfois il y avait des réfractaires. Femmes qui fuyaient, épouvantées, hommes auxquels il inspirait de la méfiance. Mais personne n'aura suscité plus que lui de véritables dévotions masculines, et cela bien avant d'être président.
Ainsi Jean Riboud, qui le vénérait, ainsi le malheureux François de Grossouvre, qui était carrément amoureux, lié à François Mitterrand par un sentiment affectif intense, bien d'autres encore que je ne citerai pas parce qu'ils sont encore vivants. Il traitait mal ses dévots, alternant le chaud et le froid, mais ceux-ci n'en étaient que plus subjugués... persuadés chacun d'être le préféré. Que la faveur du prince les déserte, caprice ou lassitude, et c'était le désespoir. Soudain, ils avaient froid. Alors, d'un mot, il les reprenait sous sa coupe.
Avec les femmes, il fallait le voir dans une assemblée où, soudain, l'une d'elles attirait son attention. Pas forcément jolie, rarement éclatante, plutôt terne, même, à d'autres yeux que les siens. Mais c'était celle-là qu'il voulait. Alors, du regard, il la distinguait, la clouait, et elle fondait. On ne saurait dire combien de passions il a inspirées à des jeunes femmes qui ne s'en sont pas toujours remises, et qui lui ont gardé la fidélité du cœur.
L'eût-il voulu, il eût été capable de séduire une pierre, geste économe, œil brillant de malice, voix feutrée, propos enveloppant comme un châle. Et il le voulait souvent. Nul doute que les femmes furent, avec la politique, la grande affaire de sa vie.
Sans doute a-t-il rencontré des cruelles. Mais, pour peu qu'il s'y employât, déployant son charme, rares sont les femmes, rares sont les hommes qui n'ont pas succombé, même parmi ses adversaires, à la séduction particulière de François Mitterrand.
La dernière fois que je l'ai vu en privé, il était de mauvaise humeur, il souffrait - je le dérangeais, manifestement. Il a été d'abord bougon, visage sévère, creusé. Et puis, une petite lumière s'est allumée, il s'est éclairé, la machine à séduire s'était mise en mouvement... Je suis repartie, le cœur serré.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express