La comédie du pouvoir

Abrogation de la loi du 3 janvier 1977 sur le droit à construire (qui a été adopté sous son ministère). Revient sur la mauvaise politique française de l'habitat.
Tout n'est pas comédie, il s'en faut, dans le pouvoir. Ni dans celui qui s'exerçait hier ni dans celui qui s'exerce aujourd'hui. Mais on se demande comment il faut appeler les tribulations de la loi du 3 janvier 1977 qui vient d'être abrogée.
Ce n'est pas son objet qui prête à sourire (la consultation obligatoire des conseils d'architecture avant de construire), c'est son destin.
Tous les princes veulent construire, pensant avec Balzac que l'architecture est l'expression de la civilisation d'un pays et constatant, comme chacun, que dans ce miroir, notre civilisation n'est pas belle à voir.
Pourquoi ? Il y faudrait cinquante pages. Disons rapidement que nous avons hérité d'une politique de l'habitat — celle qui a été menée entre les deux guerres — qui figure dans tous les manuels d'économie en raison de son absurdité. Que les besoins ont été ensuite si criants qu'ils ont étouffé le besoin silencieux d'harmonie au bénéfice de tiroirs à ranger les familles. Disons aussi que les architectes sont loin de porter la responsabilité globale de ce que nous avons bâti depuis trente ans, même si, parmi eux, quelques-uns ont voulu faire de l'original sans origine comme on fait du café sans caféine : une enquête portant sur six mille permis de construire montrait, il y a quelques années, que 8 % seulement des projets étudiés étaient signés par des architectes.
Donc, Georges Pompidou, président de la République, se préoccupa de la question. Un texte de loi fut présenté au Sénat, défendu par le ministre de la culture, Maurice Druon, qui n'en avait pas conduit la préparation. Il l'héritait de son prédécesseur.
Mais la réforme, disait-on, n'avait que trop tardé et M. Druon défendit le projet du mieux qu'il put : le Sénat l'adopta en juin 1973.
A peine transmis à l'Assemblée nationale, les critiques fusèrent, si vertes et véhémentes que le gouvernement jugea peu opportun de poursuivre une procédure soulevant pareille hostilité de la part des instances représentatives de la profession d'architecte.
Georges Clemenceau disait : « Quand vous voulez faire quelque chose, faites-le. Sinon, nommez une commission. » Aujourd'hui, cela s'appelle concertation. Commença donc la concertation avec les architectes.
C'était au début de 1973. Las ! voilà que le ministère de la culture changea de titulaire, passant de Druon en Peyrefitte.
En ce temps-là, rappelons-le, il y avait une direction de l'architecture, et elle dépendait de la culture.
Les directeurs — nommés en conseil des ministres, c'est-à-dire, en fait, par le président de la République et jamais sans son agrément — changent heureusement moins souvent que les ministres. Heureusement, quand ils sont efficaces, compétents, et qu'ils n'ont pas eu l'échiné brisée, qu'il leur reste le minimum de foi et d'enthousiasme nécessaire pour penser à autre chose qu'à ne pas faire de vagues.
Encore faut-il, lorsque leur ministre est nouveau dans la maison, qu'ils fassent son éducation.
M. Peyrefitte n'eut pas le temps de faire la sienne, du moins dans ce domaine, auprès de l'excellent
directeur de l'architecture qui le servait, ni de faire avancer la loi de réforme : en mai 1974, il cédait la place au premier des ministres de la culture de M. Giscard d'Estaing, M. Michel Guy.
Et tout recommença.
Le nouveau président rêvait lui aussi de construire, mais autrement que son prédécesseur à l'Elysée — haro sur Beaubourg ! — et il avait sur ce point des idées bien déterminées. On se souvient de la condamnation des « tours » et du projet d'Emile Aillaud pour la Défense approuvé par Georges Pompidou.
Michel Guy était, quant à lui, le seul sans doute parmi les titulaires de la culture capable de concevoir, dès sa prise de fonctions, une politique de l'architecture. Que l'on approuve ou non cette politique, c'est une autre question. Il savait de quoi il parlait.
M. Giscard d'Estaing savait lui, ce qu'il voulait : en premier lieu que personne ne puisse désormais construire à son gré des domiciles adorés et des sans-souci. Qu'en même temps, le monde des architectes, politiquement divisé comme toutes les corporations, trouve dans la loi des satisfactions à quelques-unes au moins de ses revendications.
Michel Guy poursuivit donc, avec son directeur, concertation et élaboration du projet de loi de réforme, conformément aux vœux du président.
Las ! Fin août 1976, il quittait sa fonction où le remplaçait votre servante, qui eut à comprendre à son tour de quoi il s'agissait, article par article d'une loi complexe, ce à quoi l'aida grandement un directeur, toujours le même, d'autant plus méritoire qu'il se savait au point d'être éjecté, n'ayant pas l'heur de plaire au président.
Et c'est ainsi que, en décembre 1976, j'eus à défendre d'abord au Sénat puis à l'Assemblée nationale un projet de loi qui n'était pas le mien et qui, après divers amendements, fut définitivement promulgué le 3 janvier 1977 : celui qui instituait des conseils d'architecture et d'urbanisme à travers toute la France.
Cette loi était-elle bonne, était-elle mauvaise... Elle résultait, en tout cas, de cette fameuse concertation. Or le ministre de la culture a été dépossédé en 1978, sauf erreur, de la direction de l'architecture au bénéfice du ministère de l'équipement, M. d'Ornano l'ayant emportée dans ses bagages en passant d'un portefeuille à l'autre. Et l'équipement en tant que tel ayant disparu dans une nouvelle tourmente, c'est le ministre de l'urbanisme et du logement, M. Roger Quillot qui vient de proposer et d'obtenir l'abrogation de la loi de janvier 1977. Un sénateur s'est, en séance, félicité que les architectes ne soient plus « les gendarmes du permis de construire », ce qui doit, en effet, réjouir au moins les maîtres d'oeuvre non architectes.
Encore une fois, il ne s'agit pas ici de juger du fond.
Et maintenant ? Chacun sait que le chef de l'Etat a lui aussi des idées sur la question, sur le beau, l'harmonieux, le vivable, sur l'empreinte que, comme tout prince, il souhaiterait laisser sur la France en ce domaine, et quelle empreinte est plus durable !
Alors... bonne chance, monsieur Quillot.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Monde