Il s'en passe des choses ...

Chronique humoristique des événements de la semaine sur quelques affaires poliques et théâtrales
Dessins de Maurice Henry

Sur le théâtre du monde, la première scène s'est déroulée après la soirée d'adieux donnée dans les salons de l'ambassade d'Angleterre par le plus parisien des ambassadeurs britannique : M. Duff (prononcez : Dœuf) Cooper, dit Duffmode, qui sera remplacé à Paris par sir Harvey.
Soirée strictement privée à laquelle assistaient M. Winston Churchill et quelques Parisiens avec lesquels il était V à V pendant la guerre.
M. Churchill, qui ne s'en doutait pas, a fait le célèbre signe V.
— Qu'est-ce que ça signifie ? a demandé l'un de ces Parisiens qui porte un nom célèbre dans l'histoire et la littérature françaises.
— Devinez, a dit M. Churchill, taquin.
— Wermacht ?
M. Churchill a avalé son cigare.
— Verboten ?
M. Churchill s'est trouvé mal et a fait signe qu'il voulait boire quelque chose.
— Vichy ? a proposé le monsieur en question.
— Non... Whisky, a répondu M Churchill.
L'invité mal inspiré a alors reconnu son interlocuteur et s'est aperçu qu'il portait sa veste de smoking à l'envers.
Pendant qu'il la retournait vivement,
Rideau. (Double rideau, naturellement.)

La deuxième scène fut purement cornélienne.
Quand le petit père du peuple Staline a appris que la grève générale avait échoué en France, il s'est écrié :
— Mxbrt !...
(C'est à peu près comme cela que ça se dit en russe.)
Alors un petit frère du peuple est vite venu annoncer au petit père du peuple que la grève générale était déclenchée à Rome.
Alors, Staline a dit :
— Rome, unique objet de mon assentiment...
A quoi Mistinguett, ulcérée d'avoir perdu la mémoire pendant sa première représentation au London Casino, a répondu :
— O rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie !
— Voir le dernier Romain à son dernier soupir. Moi seul en être cause et mourir de plaisir, a continué Staline.
Et Mistinguett, apprenant qu'un Anglais l'avait surnommée : Miss Forget, a demandé à son partenaire Lino Carenzio :
— N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et pendant qu'il lui tient la jambe.
Rideau. ( Rideau de larmes, naturellement )

La troisième scène fut une séance de spiritisme.
On venait de représenter pour la première fois au théâtre des Ambassadeurs la pièce de M. François Mauriac : « Le Passage du Malin », dans laquelle le héros, Bernard, déclare :
— Ce qu'il y a de plus rare au monde, c'est un visage de femme illuminé par l'esprit.
M. Mauriac, inquiet scrupuleux, a mis les mains sur le plateau du théâtre et a demandé :
— Esprit, es-tu là ?
L'esprit a frappé trois coups, ce qui a laissé M. Mauriac perplexe. Les flatteurs ont dit : « Ça veut dire oui. » Les spectateurs ont dit : « Ça veut dire non. » L'esprit les a laissés dans cette cruelle incertitude et a annoncé :
— Je suis en deuil depuis la mort de mon meilleur ami Tristan Bernard, et je ne fais que passer. J'ai rendez-vous pour déjeuner chez Drouant avec M. Sacha Guitry.
Alors M. André Billy, de l'académie Goncourt, s'est écrié, sarcastique :
— Vous êtes en retard, esprit. M. Guitry a voté sans vous.
Après quoi, M. J.-P. Curtis, qui a reçu le vrai prix Goncourt pour son roman : « Les Forêts de la nuit », et M. Kléber Haedens, qui a reçu le faux prix Goncourt pour son roman : '' Salut au Kentucky '', ont constaté mélancoliquement :
— Depuis l'année dernière, les prix ont doublé... ,
Et pendant que chacun d'eux feuillette le livre de l'autre,
Rideau. (Rideau de feuilles, naturellement.)

La quatrième scène a commencé par une partie de bridge.
— Je passe... a dit la petite princesse Anne de Bourbon- Parme en rencontrant Michel de Roumanie.
— Je prends... at-il répondu.
— Je coupe... a déclaré Anna Pauker, ministre des Affaires étrangères de Roumanie en regardant fixement la tête du roi.
— Pardon, a répondu Michel.
Atout cœur, le roi est maître,...
Et il a gagné la première manche.
— C'est bon, a dit Staline,, mais à la seconde, déclarez mieux votre jeu. Il faudra que vous réussissiez votre impasse à gauche si vous ne voulez pas faire le mort...
Et pendant qu'il est en train de mélanger les cartes,
Rideau. (Rideau de fer, naturellement.)

La cinquième scène n'a pas eu lieu.
C'aurait dû être le duel entre MM Fumière et Polydor.
Mais M. Polydor a rêvé la veille qu'il y aurait de la casse, ce qui pour un marchand de disques est suprêmement irritant.
Alors, au lieu d'un duel, les deux éditeurs de musique ont fait un duo.

Mardi, octobre 29, 2013
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