En attendant Maman

Premier livre de Justine Lévy « le Rendez-vous ». Selon FG, l'auteure a un véritable « ton ».
En attendant Maman

Elle a vingt ans, elle est belle et elle a un ton...

Soit une belle jeune fille de vingt ans, étudiante en philosophie, qui vous envoie son premier roman. Et on se dit : est-ce bien sérieux de se jeter à cet âge dans la littérature, sans expérience des douleurs ni des splendeurs de la vie, sans humus où planter son livre ?
Et puis on ouvre Le Rendez-Vous. Et aussitôt l'attention est accrochée. Parce que très vite un personnage extraordinaire surgit qui va envahir le livre, la mère de la narratrice... qu'elle appelle, comme les enfants, Maman.
Une héroïne tragique, dont Justine Lévy trace le portrait comme on s'arrache le cœur.
Son livre est construit simplement : elle est dans un café où Maman, qu'elle n'a pas vue depuis longtemps, lui a donné rendez-vous. Maman est en retard, elle est toujours en retard. Alors, en l'attendant, Louise se remémore et, par lambeaux, les souvenirs affluent.
Qui est Maman ? Une femme d'une rare beauté avec sa crinière rousse et ses yeux très pâles - elle a été un top-modèle célèbre - que ses folies n'ont pas réussi à détruire. Elle s'est séparée de son mari quand Louise avait quatre ans, la laissant à son père. La reprenant parfois pour un temps, jusqu'à ce que l'enfant s'enfuie parce qu'elle n'en peut plus des amants et amantes qui se succèdent, de l'alcoolisme où Maman barbote, des pilules qu'elle ingurgite, du petit banditisme qu'elle pratique parfois, comme une provocation. Elle vole, ce qui l'enverra pour huit jours en prison. Maman est folle. Fière, indomptable, et folle.
Louise est heureuse avec son père, mais cette mère extravagante, et affectueuse au demeurant, lui manque. C'est Maman.

Ce parfum dans la fourrure

Si elle pouvait ne plus l'aimer... Elle ne peut pas. Souvenir atroce parmi d'autres, ce jour où, à quinze ans, elle l'a trouvée prostrée, exsangue, le front laqué de sueur, un mince filet de bave coulant au coin des lèvres... Et à côté d'elle, une seringue. « Je m'allonge près d'elle, je défais le garrot, je la prends dans mes bras, je lui embrasse le cou, les paupières boursouflées, le nez, je la berce (...). Je donnerais vingt ans de ma vie pour n'avoir pas vécu cela. J'ai presque vingt ans. Je donnerais ma vie. »
Maman passera huit jours à l'hôpital. Louise apprendra qu'elle se piquait dans les gencives pour éviter les bleus.
Louise a 16 ans quand Maman vient un jour la chercher au lycée : « Tu es ma petite fille, mon enfant, les enfants doivent vivre avec leur mère, c'est comme ça et c'est merveilleux. » Elle annonce qu'elle a changé, qu'elle est devenue responsable. « Viens ma chérie, ma toute petite, viens. Faisons un essai. Donne-moi une semaine... »
Louise ne tiendra pas huit jours avant de se réfugier chez son père. Maman n'a pas changé.
Ainsi va cette dure histoire entre une femme que l'on pourrait dire perdue si le mot n'avait un autre sens, et sa fille qui ne cessera jamais de l'aimer et de l'évoquer, avec son manteau de renard gris et ce parfum dans sa fourrure. Si belle, si drôle, si tendre... Bien sûr, Maman ne viendra pas au dernier rendez-vous. Elle aura oublié.
Tout cela est écrit avec une sensibilité, une violence sous la délicatesse dans l'expression des sentiments, qui gomment de menues maladresses de débutante.
On ne s'arrache pas de livres comme celui-là. Mais on attendra Justine Lévy avec sympathie à son prochain ouvrage. Sous la douleur. Elle a un ton.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro