Dreyfus n'a pas de chance !

Relève quelques grandes erreurs historiques dans le téléfilm consacré à Emile Zola dans l'affaire Dreyfus, diffusé sur Arte.
Il faut vivre indigné, disait Zola. Les motifs ne manquent pas.
Celui qui me taraude aujourd'hui concerne le film en deux parties diffusé il y a deux semaines par Arte sur l'Affaire Dreyfus.
Sur la première, rien à dire. C'était scrupuleux, pédagogique, simplifié sans excès, de nature à faire entrer le public dans la réalité de cette terrible histoire que pour finir il connaît mal.
Avec la seconde, en revanche, on restait pantois.
D'abord : une erreur historique. Zola a remis le texte de « J'accuse » à Clemenceau, rédacteur à L'Aurore, parce que Le Figaro, submergé de lettres de lecteurs hostiles au célèbre écrivain avait demandé à celui-ci de prendre du champ pendant quelque temps. L'article était intitulé « Lettre au président de la République ». En bon journaliste, Clemenceau a biffé ce titre pour le remplacer par « J'Accuse ». Rien de tel dans le film où le geste est attribué au directeur de L'Aurore, Vaughan et où Clemenceau est purement et simplement escamoté. Entre parenthèses, il a écrit 635 articles au sujet de l'Affaire Dreyfus et, bien que n'étant pas avocat, il a obtenu de plaider au procès fait à Zola.
Escamoté également : Jaurès. Une intervention du fameux chef socialiste, superbe, faite en privé, où il rendit courage à quatre dreyfusards abattus, est placée curieusement dans la bouche de Léon Blum.
Mais ce sont là, dira-t-on, des vétilles...
Plus grave pour l'information correcte du public : la fin. A peine extrait de l'île du Diable, en juin 1899, voilà Dreyfus décoré de la Légion d'honneur ! Ainsi, le spectateur ne saura rien du second procès qui lui a été fait ni de sa seconde condamnation. Rien de la persévérance diabolique des militaires, par ailleurs si bien campés. Rien de ce long calvaire vécu par l'innocent persécuté qui aboutit enfin au décret de réhabilitation de 1906.
Je sais bien que l'on ne peut pas tout montrer, surtout dans une histoire aussi compliquée et lourde en personnages, que la narration filmée exige des ellipses. Mais on fait de l'histoire ou on en fait pas. Dès lors que le propos des auteurs n'était nullement de romancer mais de transmettre au public un document fidèle, ces petites tricheries avec les faits dénaturaient leur travail, souvent excellent d'autre part. On dira que seuls les maniaques les ont décelées. On est jamais trop maniaque avec la vérité.
Décidément, Dreyfus n'a pas de chance...

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro