Accusé, couchez-vous!

Sur l'introduction des piqûres au penthodal pour faire avouer les accusés, or cette technique est finalement récusée par la justice.
Désormais, les accusés ne se mettront plus à table. Ils se mettront au lit. Là, une piqûre de penthotal libérera d'un coup leur conscience. Ainsi y aura t-il au moins quelque chose de libre dans cette affaire où risque de sombrer notre ultime liberté : celle de penser en silence.
La loi française est basée sur le respect que l'on doit à la personne humaine. On le lui doit toujours. Mais on ne le lui paye plus, ce qui ne sera pas pour vous étonner.
« Accusé, couchez-vous !... », déclarera le représentant de la justice, devenu une sorte de médecin chef.
C'est ce que le docteur Heuyer, expert auprès des tribunaux, a dit à la première victime officielle du penthotal, Raymond Cens, lequel avait, il faut bien l'avouer sans nul penthotal, une façon toute personnelle de respecter la personne humaine, puisqu'il s'était mis au service de la Gestapo.
Blessé d'une balle dans la moelle épinière, paralysé, il prétendait devant le juge d'instruction avoir perdu l'usage de la parole. Il prétendait par écrit, bien entendu.
Le juge commit trois experts qui déclarèrent :
— Raymond Cens est muet... C'étaient des experts inexpérimentés. Lorsque, quelques mois après, le juge commit
trois autres experts, dont le docteur Heuyer, ils déclarèrent :
— Raymond Cens parle...
Une piqûre de penthotal avait enlevé au simulateur la force de conserver le bœuf qu'il s'était mis sur la langue. Le muet devenu bavard porta plainte contre les médecins, coupables d'avoir « violé sa conscience ». Or, il a été débouté, bien que l'Ordre des avocats se soit unanimement élevé contre l'usage du sérum de vérité.
Nous y voici donc, au temps des seringues. Nous possédions déjà la seringue-père de famille, grâce à l'insémination artificielle.
Nous avons maintenant la seringue-juge d'instruction. Pratique, économique, se met dans la poche et ne demande pas d'avancement. Incorruptible ? Ah ! c'est une autre histoire.
Pique et pique et tribunal, on commence par le penthotal, on finit par le cardinal.
Rien ne permet d'accuser formellement les juges hongrois d'avoir eu la seringue trop lourde avant le procès du cardinal Mindszenty.
Mais le fait même qu'on en puisse user en France — où la loi épargnait jusqu'à présent aux accusés de prêter serment parce qu'elle entendait leur laisser tous moyens de défense, y compris le mensonge — permet de craindre qu'on en abuse.
L'honnêteté oblige à préciser que la Cour d'assises de l'Ariège vient d'acquitter une empoisonneuse, Odette Sarda, parce que le penthotal à révélé quelle était... piquée. Mais quand on lit sous la plumé autorisée du professeur Jean Delay qu'un « névrosé dont la personnalité est dominée par un sentiment de culpabilité peut s'accuser, sous narcose, d'un crime qu'il n'a pas commis, mais seulement imaginé », on se demande comment un magistrat français osera ordonner cette narcose, fût-ce avec l'assentiment de l'accusé.
Quand on apprend ensuite que « l'endormissement progressif à l'amytal, suivi d'un réveil brusqué à la méthédrine, rend urgente l'extériorisation verbale des contenus de conscience avec une force explosive jusqu'alors inconnue », on est tenté d'exiger que ceux qui se croient autorisés à appliquer la narco-analyse aux hommes qu'ils sont chargés de juger commencent par en prendre eux-mêmes le risque.
Une exploration dans les « contenus de conscience » de ceux qui jouent avec la tête, la liberté et l'honneur des hommes les inciterait peut-être à plus de respect pour la conscience des autres.
Voyez-vous que tel magistrat déclare, par exemple, qu'il a tué sa femme parce qu'un jour il en eut envie comme tout le monde ?
Le plus troublant est que le magistrat qui a donné au penthotal ses lettres de justice est celui-là même qui préside aux débats du procès Kravchenko.
Alors, monsieur le président, qu'attendez vous pour demander à André Wurmser, Claude Morgan et Kravchenko de vous tendre docilement lavant-bras, poing fermé par habitude ?
Si l'usage du penthotal vous paraît admissible (« attendu que les experts doivent éclairer totalement la justice »), éclairons totalement ou penthotalement.
Jamais la lumière n'aura été plus utile.

Mardi, octobre 29, 2013
Carrefour