À Paris tous les deux…

Les tribulations d'un américain à Paris (quiproquos)
Mon ami Bill est perplexe. Il est venu, du fond de son Ohio natal, passer un mois de vacances ici. Là-bas, on lui avait dit que la France est le pays du bonheur. Il n'a pas trouvé le bonheur, mais il a trouvé les cafés-filtres,
qui le rendent positivement fou.
« Je ne comprends pas ce pays, dit-il. Je demande un café... On m'apporte un drôle de petit instrument avec lequel je dois le faire moi-même, on met quarante francs sur l'addition et on me dit : « Attendez qu'il passe... » La première fois j'ai attendu, en lisant mon journal. Quand je suis arrivé à la dernière petite annonce, l'eau bouillante avait bien fini par se transformer en café, mais elle était devenue tiède... La dernière fois, je me suis impatienté et j'ai commencé à tripoter ce petit instrument... Je me suis horriblement brûlé. Personne n'a donc eu l'idée de mettre une anse de liège à vos filtres ? Et puis, j'ai renversé l'eau, j'ai sali ma chemise et il a fallu tout recommencer.
Ma chemise sale, j'ai voulu la faire laver. Je cherche une blanchisserie : fermée. Une deuxième, une troisième : fermées pour trois semaines. Est-ce que les blanchisseurs sont tous fatigués en même temps?
Je suis venu à Paris pour voir des Parisiens. Mais je ne rencontre que des Américains qui, eux aussi, n'ont pas l'air content de me voir. Je suppose que les Parisiens sont avec les blanchisseurs, en vacances. Alors, je suis allé passer quelques jours à Vichy.
Je croyais que Vichy était une station de malades. J'ai compris que je me trompais le soir où, à 7h05 j'ai dû aller chercher un agent pour acheter un cachet d'aspirine.
L'agent m'a accompagné chez un médecin. Le médecin doit constater que le malade a vraiment besoin du médicament. Cette constatation, il doit la faire par écrit. Cet écrit, il faut que l'agent l'apporte au commissariat de police, où on le couvre de cachets, tandis que le malade attend toujours les siens. Mais pour voler les dollars que, étourdi par les migraines, j'avais laissés dans la poche de mon veston, personne n'a eu besoin de certificat. Ni d'agent.

Je suis rentré à Paris où j'ai enfin trouvé un endroit bien organisé : le Racine-Club, qui autorise les Américains à user de ses tennis et de sa piscine pendant dix jours, moyennant 3.000 francs. Correct. Mais, à la piscine, j'ai été très étonné de constater que la plupart des membres de ce club, qui appartiennent apparemment à une classe relativement aisée, semblent ignorer l'existence de ces petits êtres généralement jaunes et accroupis, connus chez nous sous le nom de pédicures.
Pourtant, il y en a à Paris. Tous ces pieds douteux qui me frôlaient le nez m'ont incité à en chercher un d'urgence. Celui que l'on m'a indiqué est, paraît-il, un artiste. Mais j'ai trouvé sa porte fermée. Parce que c'était un samedi.
Ma femme a préféré se confier à celui qui opère chez son coiffeur. Mais elle a trouvé le salon de coiffure fermé. Parce que c'était un lundi.
Le soir, en rentrant du Racing, nous avons laissé courir notre boxer dans une avenue qui longe le Bois. Il a rencontré un caniche qui courait aussi. Les deux chiens ne se sont pas plu. Ils se sont même un peu battus. Les propriétaires du caniche, un monsieur très cossu et sa femme qui descendaient d'une grosse voiture, ont injurié mon chien. Je parle très mal le français et j'ai répondu seulement :
« Vous, sois poli.»
Alors ils m'ont crié :
- Rentrez donc dans votre pays avec votre cabot, espèce de métèque.
Cet incident s'est déroulé en face d'une grande villa éclairée qui donne de l'autre côté de l'avenue. Dans cette villa, travaillent les fonctionnaires du plan Marshall.
J'ai dit à ma femme :
« - On rentre? »
Elle a approuvé, furieuse. Seulement depuis trois jours, elle pleure parce qu'elle ne veut pas quitter la France. Alors nous resterons encore un mois... Mais pouvez-vous me donner l'adresse d'un bon psychanalyste?
Et pendant que j'essayais de le dissuader de demander à un psychanalyste en raison de quel complexe, contracté au sein de sa nourrice, il préférait tout de même vivre en France plutôt qu'en Amérique, mon ami Bill s'est mis à crier :
- Gaaaarson! ... Un filtre!

Mardi, octobre 29, 2013
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